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La transformation d’une ancienne banque coloniale en magasin de prêt-à-porter.

Publié le 15 août 2025

Le magasin Uniqlo du 17 rue Saint-Ferréol à Marseille occupe un bâtiment emblématique construit en 1919 par l’architecte Henri Ebrard, mêlant les styles néobaroque et art nouveau, reconnaissable à ses balcons sculptés, sa grande horloge, sa ferronnerie raffinée et son dôme imposant.
Originellement, l’édifice était le siège de la Compagnie Algérienne, une grande banque commerciale fondée au XIXe siècle pour financer et accompagner la colonisation en Algérie. Dans les années 1920, cette banque figurait parmi les dix plus puissantes de France et jouait un rôle central dans l’économie coloniale, opérant de part et d’autre de la Méditerranée.
Après avoir hébergé successivement la Compagnie Algérienne, puis le Crédit du Nord et la boutique Mango, le bâtiment a été repris en octobre 2021 par Uniqlo, qui y a installé son deuxième magasin marseillais. Occupant environ 1 100 m² sur trois niveaux, la boutique met pleinement en valeur le patrimoine du bâtiment : ses balustrades, sa salle des titres, la grille monumentale ornée des initiales dorées « C.A. » pour « Compagnie Algérienne » et le sol en mosaïque orientaliste mais surtout la grande porte du coffre-fort située au sous-sol.
Au moment de l’ouverture, une plaque mémorielle, installée près des cabines d’essayage, rappelait la création du bâtiment par la Compagnie Algérienne en 1919 et le succès commercial de la banque, sans expliciter son rôle dans la colonisation de l’Algérie. Ce manque de mention explicite du passé colonial a mené à une réflexion critique sur la manière dont l’histoire coloniale continue de façonner l’espace urbain français, souvent de manière invisible, et sur la superposition des couches historiques et commerciales dans la ville de Marseille.
Paul Max Morin, docteur en science politique spécialisé en mémoire coloniale, et ses étudiants ont mené des recherches sur ce bâtiment. La Compagnie Algérienne est un levier de la colonisation ayant permis de convertir les terres conquises par la France en capital productif. La banque s’affirme ensuite comme une grande banque commerciale implantée à la fois en Afrique du Nord et en métropole.
Le travail de recherche de Paul Max Morin et ses étudiants a amené Uniqlo à commander l’installation d’une nouvelle plaque mémorielle mentionnant cette fois l’histoire coloniale de la banque et du coffre. La municipalité de Marseille envisage en parallèle de compléter ce travail de mémoire par la pose d’une plaque explicative à l’extérieur du bâtiment, permettant d’offrir une information historique accessible depuis la rue et renforçant ainsi la connaissance de ce pan souvent occulté de l’histoire locale.
Ainsi, le magasin Uniqlo Saint-Ferréol n’est pas un simple espace commercial : il cristallise la survivance de traces coloniales dans le tissu urbain, révélant les tensions entre patrimoine architectural, mémoire coloniale et modernité. Ce cas illustre la nécessité de sortir de l’amnésie historique en revendiquant une mémoire critique, où l’histoire coloniale se donne à voir autant dans les murs que dans les pratiques quotidiennes de la ville.

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/07/17/a-marseille-un-temple-du-pret-a-porter-fait-son-inventaire-colonial_6621702_4500055.html

Mise à jour :mercredi 27 août 2025
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