Depuis plusieurs année François Bernheim vient à Marseille régulièrement, rencontre, observe, interview et nous offre au retour, quelques temps après, un article notamment dans son blog de médiapart. Son dernier, publié fin décembre a pour titre Marseille à venir. Nous en publions le chapeau et le passage où il parle de notre Guide du Marseille colonial :
A Marseille encore plus qu’ailleurs le silence est l’allié du pire. Alors toute tentative de prise de parole doit être saluée, encouragée. Ici les militants de la vie multicolore bravent opportunisme, désespoir et chasses gardées. Malgré tout le peuple avance.
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Le guide du Marseille colonial (6)
Coédité par les éditions Syllepse et Transit, la Courte échelle, ce guide répond à une nécessité. Son collectif de contributeurs l’exprime ainsi : "La nécessité de produire un tel guide vient nourrir un sentiment d’urgence, celui de Marseillais qui ne veulent plus emprunter, parcourir, habiter, étudier dans des lieux qui portent le nom de celles et ceux qui ont œuvré à notre déshumanisation."
Concernant, la colonisation le paradoxe est énorme, entre d’un côté l’importance primordiale d’une entreprise d’asservissement et destruction partielle des peuples colonisés impliquant une structuration hiérarchique racisée de la société métropolitaine, les inférieurs par nature étant là, tant pour offrir à bas prix leur force de travail et subir le mépris des races supérieures et de l’autre côté la dénégation voire le silence soustrayant une telle entreprise à tout débat public. Cette omerta voulue par les uns et tolérée par les autres, est sans doute, comme le souligne Alain Castan, à la source des nombreuses défaites subies par la gauche. Fort heureusement il semble bien que les nouvelles générations n’acceptent plus ce qui a été, tant bien que mal, occulté par leurs ainés. Impossible de parler politique en passant sous silence l’exploitation et sujétion des classes populaires. Bien entendu de nombreuses revues et livres traitent de la colonisation. On peut, héla,s faire l’hypothèse que leur lecture est principalement le fait de personnes qui ne sont plus à convaincre.
Un guide des rues et monuments de Marseille travaille à un tout autre niveau, celui d’un quotidien revisité. L’habitude et le silence aidant on ne voit plus ce qui est en face de nous. Un tel guide redonne un éclairage nouveau à un espace commun. Ainsi les escaliers de la gare Saint Charles.
"Tout à la gloire de l’empire Colonial, ils incluent deux groupes en Pierre de Louis Botinelly, les colonies d’Afrique et les colonies d’Asie, dont les allégories sont à chaque fois des personnages féminins condensant tous les stéréotypes et fantasmes racistes et sexistes propres au colonialisme..... La cité phocéenne domine les territoires des deux continents...
"Les femmes -colonies " sont offertes, nues presque liées..... et leurs filles elles-mêmes semblent à la disposition du conquérant"
Comment peut-il y avoir encore une rue Bugeaud à Marseille et aussi à Paris "... nommé gouverneur de l’Algérie en 1841.Il applique alors la politique de la terre brûlée.
Ses troupes pourchassent les combattants et les populations civiles, incendient les villages, détruisent les troupeaux, enfument les grottes dans lesquelles sont réfugiées des tribus entières. 18 Juin1945, dans les grottes de Dahra toute une tribu, hommes, femmes enfants entre 7000 à 12000 personnes sont exterminées... je brûlerai vos villages et vos moissons, je couperai vos arbres fruitiers et alors ne vous en prenez qu’à vous seuls"
Premier signe positif le conseil municipal de Marseille du 21 Mai 2021 a débaptisé l’école Bugeaud " Elle porte désormais le nom d’Ahmed Litim, tirailleur algérien tué dans les combats pour la libération de la ville le 25 Aout 1944.
Les expositions coloniales de 1906 et 1922, précédant celle de Paris en 1931 doivent signifier aux yeux du monde que Marseille est désormais la porte de l’orient, la capitale maritime de l’empire. Succès populaire éclatant 1, 8 millions de visiteurs pour la première, 3 millions pour la deuxième. Marseille est le 1er port colonial du pays. Les discours les œuvres artistiques et cinématographiques à la gloire de la colonisation seront un puissant allié.
A l’opposé des francs -tireurs courageux tel que Camille Pelletan. En Juillet 1885 il déclare " Qu’est-ce que cette civilisation que l’on impose à coup de canon ?Qu’est- sinon une autre forme de barbarie ?
Est-ce que ces populations de race inférieure n’ont pas autant de droit que vous ? Est-ce qu’elles ne sont pas maitresses chez elles, est-ce qu’elles vous appellent ?
Vous allez chez elles contre leur gré, vous les violentez, mais vous ne les civilisez pas"
La mise en avant du fait colonial dans un guide prolongé par un blog (6) actualisant l’information, prenant en compte les réactions et éventuelles omissions a l’immense intérêt de concerner tout citoyen voulant en savoir plus sur l’histoire de sa ville et ses partis-pris. Autre intérêt non mineur faire comprendre que la fin de la colonisation signe la fin de l’expansion d’une ville fer de lance de ce système d’exploitation. Des politiques municipales encourageant les rentes de situation et l’absence d’entrepreneurs dynamiques parmi les dynasties en place, ont creusé le trou. Soixante ans après la signature des accords d’Evian qui font de l’Algérie un pays indépendant, on prend enfin conscience de la violence du fait colonial. Les uns ne pouvaient pas parler, les autres ne voulaient pas entendre. Traumatisme torturant les esprits , comme une prison sans murs peut rendre fous ceux qui y sont enfermés. Heureusement une nouvelle génération semble pouvoir prendre la relève ; Au-delà du guide, les prises de parole se multiplient, ainsi un cycle de conférence initiées par Act. Une nouvelle collection de livres sur les questions d’émancipation collective. Premier ouvrage édité " Nos Algéries intimes (7)
"Pour cette Algérie intime qui nous relie à nous -mêmes comme aux autres, à cette terre de manière ombilicale ou fantasmée ; penseurs, intellectuels, artistes, écrivain.es, photographes, militant.es, citoyen.nes prennent la parole Une occasion comme une nécessité pour aborder ce qui fait lien aujourd’hui avec l’Algérie pour les différentes générations".