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Une traverse Assia Djebar à Marseille

Publié le 2 août 2023 par Alain Castan et Nacera Tolba

Le conseil municipal de Marseille dans sa séance du 7 juillet 2023, à l’occasion de la livraison de récents programmes immobiliers, a adopté la dénomination de 22 nouvelles voies, pour la plupart dans le 15ème arrondissement de la ville. Parmi ces dénominations plusieurs ont un rapport avec l’histoire coloniale et ses conséquences : la « rue Larbi Benbarek, footballeur à l’OM (1917-1992) », la « place Baya Jurquet-Bouhoune, militante féministe et antiraciste (1920-2007) », la « rue Paulette Nardal, femme de lettre (1878-1954) », la « traverse Assia Djebbar, académicienne française (1936-2015) ». Après un articke sur Baya Bouhoune-Jurquet, nous poursuivons avec Assia Djebar.

 

Assia Djebar a été une grande écrivaine de renommée internationale. Élue à l’Académie française en 2005 er, en 1999, à l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique, chaque année une journée Assia Djebar lui est consacrée au Québec et, depuis 2010, existe en Algérie, un Prix Assia Djebar du roman. Elle fut avant tout, cependant, une écrivaine algérienne d’expression française ayant un rapport intime et permanent avec son pays comme avec les langues arabes et berbères.

Assia Djebar, de son vrai nom Fatima-Zohra lmalayène, fait partie d’une génération d’intellectuels algériens qui contrairement à la grande majorité des algériennes et algériens d’origine arabo-berbère, qui ont eu la possibilité de fréquenter l’école française. Elle est née le 30 juin 1936 à Cherchell . Son père avait fait des études à l’École normale d’instituteurs de Bouzaréah, condisciple de Mouloud Feraoun. Du côté de sa mère, dans la tribu des Beni Menacer, un aïeul, Mohammed Ben Aïssa El Berkani, était lieutenant (khalifa) de l’Emir Abdelkader à Médéa. L’arrière-grand-père, Malek Sahraoui El Berkani, neveu du khalifa et caïd des Beni Menacer, avait pris la tête d’une rébellion en juillet 1871, parallèlement à la révolte en Kabylie. Il a été tué au combat le 2 août 1871.

Brillante élève, elle poursuit ses études d’abord au lycée Bugeaud (aujourd’hui lycée Émir Abdelkader) à Alger, entre en 1954 au lycée Fénelon à Paris, est admise à l’Ecole normale supérieure de Sèvres en 1955. Elle en est exclue en 1956 pour avoir participé à la grève des étudiants algériens à l’appel de l’UGEMA ( Union générale des étudiants musulmans algériens) et ne s’être pas présentée aux examens. Elle écrit alors son premier roman, La Soif (Palis. Julliard, 1957) qu’elle signe Assia Djebar.

Elle se marie en mars 1958. Son mari est alors dans la clandestinité, Elle le suit à Tunis, où, tout en poursuivant ses études, elle collabore à El Moudjahid, organe du FLN. Elle enquête auprès des réfugiés algériens à la frontière algéro-tunisienne, témoignages et documents qui paraîtront dans El Moudjahid en 1959 sous le titre : Journal d’une maquisarde.

Après l’Indépendance en octobre 1962, elle enseigne à la Faculté des Lettres d’Alger (histoire moderne et contemporaine de l’Afrique du Nord) et collabore à plusieurs périodiques algériens ainsi qu’à la radio algérienne. Elle quitte l’Algérie en 1965. De retour à Alger en 1974, elle est maître assistante à l’Université. Elle réalise en 1977 pour la télévision algérienne un long métrage, la Nouba des femmes des mont Chenoua après trois mois d’enquête auprès des femmes de la tribu maternelle et six mois de tournage. Le film sort en 1978. Il obtient en 1979 le Prix de la Critique internationale (FIPRECI. à la biennale de Venise).

Alain Castan

 

Tout le travail d’Assia Djebar soulève le voile sur des thèmes récurrents et lourds de conséquences tels que le colonialisme, la révolution, l’Algérie, l’identité, la culture, la langue, l’écriture son outil magique, l’histoire, la condition et l’engagement de la femme, la liberté, l’amour, la religion et les traditions avec une résonance de la littérature orale.

Dans une intervention Assia Djebar disait : « j’ai été formée, nourrie, par la mémoire en arabe, en berbère d’un pays dont vous connaissez hélas ! les souffrances et les malheurs présents. » Elle a toujours porté son pays et son peuple. Assia Djebar, l’Algérie et le peuple est une merveilleuse histoire d’amour qu’elle exprime dans sa poésie.

Nacera Tolba

 

 

Poème au soleil

J’ai libéré le jour

de sa cage d’émeraude

comme une source vive

il glissa de mes doigts.

J’ai libéré la nuit
de la tombe de l’onde

comme un manteau de pluie
elle retomba sur moi.

J’ai libéré le ciel
de son lit d’amarantes
dans un éclair d’orgueil
il s’envola en roi.

J’ai lancé le soleil

sur la scène du monde

l’ombre était si profonde

qu’il devint hors-la-loi.

Extrait : Poèmes pour l’Algérie heureuse.(recueil publié en 1956)

POUR ALLER PLUS LOIN

Achour Cheurfi Mémoire Algérienne- Editions Dahleb - Alger 1996. pp. 322-323-324

Fatima Oussedik : Assia Djebar et les voix qui l’assiègent El Watan du 6 février 2023

Biographie sur le site de l’Académie française

EXTRAIT DU DISCOURS DE RECEPTION D’ASSIA DJEBAR A L’ACADÉMIE FRANÇAISE 

... I l y a une autre Histoire, Mesdames et Messieurs, et consécutive à celle-ci... Permettez-moi de l’évoquer à présent : la France, sur plus d’un demi-siècle, a affronté le mouvement irréversible et mondial de décolonisation des peuples. Il fut vécu, sur ma terre natale, en lourd passif de vies humaines écrasées, de sacrifices privés et publics innombrables, et douloureux, cela, sur les deux versants de ce déchirement.

Il s’agissait, aussi d’une confrontation plus large de l’Europe avec tout le Tiers Monde. Aux philosophes de l’Histoire de mesurer pourquoi les deux dernières guerres mondiales ont pris racine sans doute dans le fait que l’Allemagne, puissance réunifiée en 1870, fut écartée du dépeçage colonial de l’Afrique, au xix e siècle.

L’Afrique du Nord, du temps de l’Empire français, — comme le reste de l’Afrique de la part de ses coloniaux anglais, portugais ou belges — a subi, un siècle et demi durant, dépossession de ses richesses naturelles, déstructuration de ses assises sociales, et, pour l’Algérie, exclusion dans l’enseignement de ses deux langues identitaires, le berbère séculaire, et la langue arabe dont la qualité poétique ne pouvait alors, pour moi, être perçue que dans les versets coraniques qui me restent chers.

Mesdames et Messieurs, le colonialisme vécu au jour le jour par nos ancêtres, sur quatre générations au moins, a été une immense plaie ! Une plaie dont certains ont rouvert récemment la mémoire, trop légèrement et par dérisoire calcul électoraliste. En 1950 déjà, dans son « Discours sur le Colonialisme » le grand poète Aimé Césaire avait montré, avec le souffle puissant de sa parole, comment les guerres coloniales en Afrique et en Asie ont, en fait, « décivilisé » et « ensauvagé », dit-il, l’Europe »....

Discours de réption de Mme Assia Djebar

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