La faculté Saint Charles, à Marseille est le siège de l’ancien Musée colonial et c’est à l’intérieur de sa bibliothèque universitaire qu’une exposition intitulée « Réalité et rêveries d’un ancien musée colonial » s’y déroule jusqu’au 15 avril.
Les panneaux et les objets exposés ont été installés par des étudiants en biologie, en histoire et ou en design, sous la direction de leurs enseignants.
On y rappelle l’histoire du musée et de l’institut colonial fondés par Édouard Heckel, détenteur de la chaire de botanique de 1877 à 1913 à la faculté des sciences. Il est aussi le promoteur de l’exposition coloniale de 1906 à Marseille. Les auteurs de l‘exposition nous informent qu’ils voudraient ainsi ouvrir la voie à la mise en place d’un futur musée modernisé qui inviterait le public a apprécier la diversité des apports coloniaux en stimulant « les imaginaires » tout en poussant à « l’analyse critique de l’héritage colonial ».
Si l’on peut constater grâce aux photos, aux objets et aux commentaires que les « imaginaires » sont en effet stimulés, « l’analyse critique de la colonisation » nous laisse sur notre faim.
Voici en effet ce que déclarait Heckel dans son discours du 6 novembre 1904 lors de la cérémonie de distribution des prix de la faculté de Droit :
« La colonisation, issue le plus souvent d’un coup de force initial semble incompatible avec le Droit, dont elle est, dans ce cas, la violation la plus flagrante. Mais, en réalité, il est un droit créé et appliqué par toutes les nations civilisées et qui dérive de l’inégale évolution de l’espèce humaine sur notre globe. On pourrait le formuler ainsi : une race plus civilisée doit imposer par protection ou par annexion, aux collectivités humaines inférieures, les bienfaits de son développement dans le but de précipiter en elles une marche progressive vers le bien-être ou vers une meilleure condition sociale et économique ».
Nous sommes là bien loin de l’idée mise en avant dans le sous-titre du panneau présentant le musée comme « voyages à travers les collections, entre science et colonisation ».
Les donateurs qui ont alimenté le musée sont présentés comme des hommes aux parcours très divers : fonctionnaires coloniaux, explorateurs, militaires, scientifiques, alors qu’en fait ils étaient tous au service du même projet exposé par Heckel, ils estimaient normal de piller les ressources, les espèces inconnues ou les objets d’arts. Tous avaient le même principe en tête, la colonisation était l’expression de la supériorité du colonisateur dans tous les domaines, ils ne volaient pas les espèces ou les biens, ils les protégeaient de l’ignorance des colonisés. Ils se considéraient comme les seuls capables de protéger les plantes utiles à l’homme, les seuls capables de les étudier et de les développer.
On a pu remarquer dans l’exposition qu’une place particulière a été accordée au latex, « matériau élastique issu de l’hévéa d’Amazonie découvert au XVème siècle par les explorateurs ». Cette présentation est dans le droit fil de ce qui a été déjà signalé. On passe sous silence que les peuples d’Amazonie l’utilisaient depuis des siècles avant que les colons ne débarquent et qu’ils s’en servaient pour imperméabiliser les embarcations ou divers objets que les Mayas confectionnait des balles pour leurs jeux.
Nous sommes invités à toucher le latex pour mieux comprendre sa texture particulière, mais on ne nous dit peu de choses sur les conditions de son extraction ni sur le développement intensif par les firmes coloniales de la culture de l’hévéa en Afrique et en Asie. Combien de mains d’indigènes ont été sectionnées au Congo pour obliger les autres à travailler sans salaire, rien n’est dit non plus dans cette exposition. On ne connaitra pas non plus le nom des firmes qui en ont retiré d’immenses bénéfices.
Cette histoire ne s’arrête d’ailleurs pas avec la « décolonisation », c’est en octobre 2019 que quatre-vingt paysans cambodgiens vont réclamer justice au tribunal de Nanterre contre Bolloré qui a volé leurs terres pour y planter de l’hévéa (cf. Le Monde du 01/10/2019).
Daniel Garnier